Another brick in the wall

Les pas de l'homme l'avaient menés d'une manière assez incongrue vers le quartier médiéval de Kuroishi. Il appréciait l'ambiance agréable qui s'en dégageait, l'alternance entre les vieux bâtiments traditionalistes, les vêtements des personnes âgées et les temples. Il avait d'ailleurs été prier pendant une dizaine de minutes, puis était sorti, apaisé.

Apaisé ? Atsuki ne l'était jamais vraiment, depuis cette époque-là. Il avait l'oeil et le regard partout, comme un fauve ayant peur de la savane et n'était jamais très loin de ses deux gardes du corps, deux colosses en civil tentant de se fondre tant bien que mal dans le paysage. Maintenant, l'un d'entre eux faisant mine de lire un journal appuyé sur un mur tandis que l'autre avait juste l'air d'être un passant normal.

Atsuki Sôma surprenait par sa démarche. Dans les yeux de quelqu'un ne le connaissant pas, il n'avait certainement pas l'air d'être lambda : sa démarche et son port le trahissait comme une personne d'une bonne famille. Son dos était droit, sa tête était haute et son regard quelque peu suffisant. Il portait un kimono de bonne faction. En voyant quelques signes de pauvreté, il lui arrivait de regarder sa cible avec un peu de pitié, de condescendance dans ses yeux avant de donner quelques pièces.

Toutefois, sa mission en ces lieux n'était guère de faire du tourisme comme les premiers étrangers que l'on voyait grouiller autour des sources chaudes ou de l'hôtel de la ville. S'il était ici, c'était qu'il avait entendu des rumeurs sur la secte, l'odieuse association qui avait décidé de faire sa vie un enfer il y avait une dizaine d'années. Il avait mis longtemps à sortir de la résidence Sôma, s'il s'impliquait – en secret bien sûr – pour chasser tous ces suppôts de Witchfinders, c'était pour le bien-être des maudits.

Les rapports qu'il avait reçu de ses contacts lui parlaient d'un base à proximité du temple. En venant les provoquer sur leur terrain, il espérait déclencher une guerre qui pousserait les autorités à agir : après tout, il était le futur chef de la famille Sôma, non ? Lorsqu'il la poussa, la grille de la résidence fit un bruit sinistre, un bruit de grille rouillée. Son cœur battit un peu plus fort, il mit la main sous son vêtement et saisit la crosse de son revolver, paré à toute éventualité.

Atsuki avait peur, en réalité, il était terrifié, mais il devait le faire, pour lui et les maudits.

« Montrez-vous ! », fit-il d'un ton faussement assuré.

Pour toute réponse, il n'y eut que l'écho de sa voix. Aucun Witchfinder ne se montra et lorsqu'ils cassèrent la serrure de la résidence, ils découvrirent un bâtiment tagué et depuis longtemps abandonné. Depuis combien de temps, à vrai dire ? Atsuki commença à regarder à gauche et à droite, à l'affût de la moindre preuve qui lui dirait quand ces enfoirés d'Inquisiteurs avaient vidé les lieux.

Les indications de son pendule l’ont menée en plein cœur de Koroishi. Elle respire. Le quartier médiéval est peut-être un des lieux qui l’intriguent le plus dans cette ville. La force étrange qui émane de celui-ci l’a cloué sur place la première fois. La petite sorcière n’a jamais connu ça chez elle. Entre les temples et la ferveur des pratiquants, elle n’est pas sûre d’y être à sa place – ou en sécurité. Mais peut-elle seulement l’être dans ce monde tant qu’existeront ces chasseurs de sorcières ? Ava connaît la réponse à cette question depuis bien trop longtemps.

Elle déambule, la tête pleine de questions. Quelle est la véritable histoire de ce quartier ? Quelles horreurs s’y sont déroulées ? Tout n’est jamais aussi blanc que le décrivent les brochures culturelles proposées aux quelques touristes perdus dans la campagne japonaise. Elle aimerait savoir ce qui se cache derrière ces murs, ces personnes en kimono. Elle réalise qu’elle jure sûrement dans ce tableau avec son jean et son tee-shirt bariolé, puis elle se souvient. Comment pourrait-elle paraître à sa place dans un pays où la peau blanche est généralisée ? Soudainement, la sorcière a envie de rentrer chez elle – là où des gosses meurent pour ne pas être nés blancs, mais où tout ne lui paraît pas monochrome.

La résidence proche du temple l’interpelle et avant qu’elle ne le réalise, elle en prend le chemin. L’endroit semble désert et les bruits qui le composent peu rassurants. Le bâtiment clos jure avec la rue passante, comme s’il avait été abandonné sans raison. Passer par la porte d’entrée apparaît comme une mauvaise idée. Le but reste de ne pas se faire remarquer. À la place, elle brise une fenêtre à l’arrière. Niveau discrétion, elle a fait mieux. Détail. Elle survivra à cette journée, comme à toutes les précédentes.

Ava sait qu’elle ne devrait pas être ici. La demeure vide est pleine d’une négativité qui la fait frissonner. Elle aimerait sortir, purger son corps et son âme, ne pas rester un instant de plus mais elle est obnubilée par les tags qui couvrent les murs. Elle a appris à y faire attention. Tellement de choses se cachent dans les mots.

Une voix se fait entendre et la sorcière se dirige naturellement vers elle. Trois personnes lui font face, mais Ava n’en voit qu’une. Le garçon semble avoir son âge, et elle n’a pas besoin de l’observer pour comprendre qu’il est la personne importante de la pièce. Elle s’approche sans la moindre peur. Peu importe qui est cet homme, son aura n’est pas mauvaise.

▬ Tu ne devrais pas être ici. Elle tutoie, comme elle le fait pour tous les mortels.

Ava ignore pourquoi, mais elle en a la certitude. Sa grand-mère dit que c’est l’un de ses dons, bien qu’elle n’ait jamais compris comment il fonctionnait. Des fois, elle sait. Tout simplement.

Ils auraient dû continuer à explorer le bâtiment, trouver des indices concernant le passage de Witchfinders au fur et à mesure, mais le hasard avait fait que rien ne s'était passé comme prévu. Atsuki était en train de retourner dans sa main un objet qu'il venait de trouver sur le sol – un paquet de cigarette vide – lorsque le son de cette voix féminine parvint à ses oreilles.

Elle le tutoie, et lorsqu'il releva la tête, ce fut pour voir la silhouette du jeune femme au physique atypique dans cette ville remplie à 99 % de japonais et pour le reste, de touristes occidentaux. Il eut un vague signe de surprise, suivi d'un geste de la tête respectueux : ce n'était pas parce qu'il était surpris qu'il devait être impolie – même si cette fille, c'était un fait, venait de l'être avec lui. Il s'avança légèrement vers elle, levant une main pour faire signe à ses deux gardes de rester un peu en arrière, puis, croisa les bras.

« Et vous êtes ? »

Son accent était terrible. Elle devait venir d'Amérique, c'était certain. Il choisit donc de parler en anglais, c'est pourquoi, vous, lecteurs, imaginez que le reste des paroles du futur chef de la famille Sôma prononcées dans la langue de Shakespeare. Atsuki avait un petit accent, similaire à celui de pas mal de japonais dans ce domaine, mais il se débrouillait mieux que la majorité, et pour cause : il allait hérité d'une fortune qui lui demanderait de discuter avec bon nombre japonais, il valait mieux pour lui qu'il sache se débrouiller.

« Je sais qu'il n'y a pas de « vous poli » en anglais, mais en japonais, on le fait. Vous connaissez cette maison ou les personnes qui y logeaient ? »

Et pourquoi avait-elle dit qu'il n'avait rien à faire là ? Son regard s'égara vers les traces de ce feu de camp improvisé. Ils semblaient avoir brûlé des papiers, peut-être des tracts. Rien n'était lisible, aussi il ne servait à rien qu'il tente de bouger les cendres comme en ce moment. Après les avoir touillées, il lança de nouveau un regard à Ava.

« Witchfinders. Ça te dit un truc ? »